Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Les réflexions de Djidda

Analyse des initiatives de lutte contre la pauvreté prônées par la Banque Mondiale

23 Août 2010 , Rédigé par Les réflexions de Djidda

Le Rapport sur le développement dans le monde 2000/01 explique en introduction que la définition de la pauvreté ne se résume pas à un faible niveau de consommation, doublé d’un faible niveau d’instruction et d’une santé précaire. Ce document souligne qu’il faut également tenir compte du sentiment d’impuissance et d’insécurité des pauvres, ainsi que de leur accès limité à des opportunités. Les institutions de Bretton Woods (IBW) ont mobilisé des ressources considérables pour mettre en place sur le terrain la nouvelle architecture financière centrée sur la lutte contre la pauvreté. Les pays en développement qui souhaitent bénéficier d’une aide financière concessionnelle de la part de ces organisations, ou d’un allégement de la dette dans le cadre de l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés), doivent ainsi préparer un programme de lutte contre la pauvreté, désigné en français sous le terme de Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP). L’ensemble de la communauté internationale s’est rapidement aligné sur ces orientations, en ajustant ses instruments au cadre générique du dispositif DSRP/PPTE. Début 2002, une soixantaine de pays pauvres étaient engagés dans ce processus.

En effet, face à l’échec des politiques économiques qu’elles préconisent dans les pays en développement (PED), les IBW sont de plus en plus confrontées à une crise de légitimité. Les reproches à l’encontre du FMI sont particulièrement radicaux comme en témoigne le réquisitoire sans concession de J. Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque mondiale et prix Nobel d’économie. Ce dernier met en avant les effets dévastateurs des politiques restrictives imposées par cette institution. La montée de la pauvreté, l’accroissement des inégalités et la marginalisation des pays pauvres en sont les conséquences. Même si de par son rôle et ses modalités d’action, la Banque mondiale se démarque du FMI, et que les attaques à son égard sont moins frontales, elle est loin d’être épargnée. Sensible à la remise en cause de sa crédibilité, la Banque mondiale a entrepris un changement d’orientation de ses interventions afin que la lutte contre la pauvreté, une thématique consensuelle, soit au centre de ses objectifs.

Mais au lieu d’éteindre les assauts, son nouveau positionnement expose aujourd’hui la Banque mondiale à un double feu de critiques en provenance des deux côtés de l’échiquier politique. La critique de droite est emmenée par la droite conservatrice américaine: pour justifier une optique tendant à l’isolationnisme, elle stigmatise l’échec des politiques d’aide au développement (« aid fatigue ») et s’oppose aux nouvelles formes de participation proposées aux pays en développement.

Elle se fait plus en coulisses mais n’est pas moins efficace que la critique de gauche, qui est quant à elle relayée par les mouvements antimondialisation sur la scène publique avec un écho croissant. La critique de gauche est fondée sur le rejet du consensus de Washington (stabilisation privatisation- libéralisation), principe à la base des politiques d’ajustement structurel promues par les IBW, et qui reste toujours de mise malgré un discours plus prudent pour tenir compte de ses possibles effets négatifs. Toute fois, avant de nous focaliser sur les critiques et échecs des différents stratégies adoptée ; quels sont ces programmes initiés par l’intitution pour lutter contre la pauvreté ?

La nouvelle démarche reconnaît la complexité des facteurs déterminants de la pauvreté et les travaux considérables effectués en matière de lutte contre la pauvreté par d'autres organismes, y compris par les institutions du système des Nations Unies. Si les causes et les solutions sont spécifiques à chaque pays, en règle générale, cette démarche présentera des éléments communs d'une bonne stratégie de lutte contre la pauvreté. Dans cette optique, il sera question ici d’analyser l’Aide Publique au Développement (I), l’initiative Pays Pauvre très Endettés (II), Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (III) et les controverses suscitées par ces mesures (IV).

 

 

L’aide publique au développement (APD) est une activité par laquelle des pays font transiter vers d’autres des ressources publiques en vue de contribuer à leur développement. Au-delà des capitaux financiers sont également transférées des compétences, des pratiques, des technologies, voire des valeurs. Née au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’APD connaît depuis le milieu des années 1990 une mutation profonde. Son identité est redéfinie par la mondialisation dont elle tente désormais de renforcer l’équité sociale, l’efficacité économique et la viabilité environnementale. L’APD est de plus en plus souvent pensée et débattue en ces termes. Elle mobilise environ 0,3 % du revenu total des pays développés, ainsi que de nombreux organismes internationaux, régionaux, nationaux et des milliers de professionnels sur toute la planète.

L'APD se décompose en aide bilatérale et multilatérale. L'aide bilatérale est la part de l'APD mise en œuvre directement par l'État au bénéfice des pays partenaires. Elle peut prendre des formes diverses : dons ou prêts à des taux préférentiels pour le financement d'investissements, assistance technique, concours budgétaire, aide alimentaire et aide d'urgence. L'aide multilatérale regroupe l'ensemble des contributions versées au titre de l'APD à des organisations internationales dont sont membres des États et dont l'activité est consacrée en totalité ou en partie au développement : banques multilatérales de développement, institutions des Nations unies et organismes régionaux. À noter que les dons, prêts et crédits consentis pour des motifs militaires ne sont pas pris en compte.

 

 

En 1996 (G7 de Lyon), la communauté internationale avait lancé l’initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). Celle-ci visait, par une action concertée avec les institutions multilatérales, à ramener à un niveau soutenable la charge de la dette extérieure des pays pauvres, dont l’endettement restait élevé en dépit des mesures d’allègement pouvant être mises en oeuvre par le Club de Paris (incluant notamment une annulation maximale de 67 % de certaines échéances de la dette extérieure non-APD).

L’initiative PPTE a été renforcée en 1999 (G7 de Cologne), les aménagements apportés au schéma initial ayant permis d’élargir la liste des pays éligibles et de faciliter la mise en oeuvre des allègements. La clause d’extinction de l’initiative PPTE (« sunset clause ») est entrée en vigueur le 31 décembre 2006. Décidée lors du G8 de Gleneagles (2005), l’initiative d’annulation de la dette multilatérale (IADM) des pays les plus pauvres a pour objet d’annuler intégralement leur dette à l’égard de trois institutions financières internationales (le FMI, la Banque mondiale et la Banque Africaine de Développement). Celles-ci, qui réalisaient déjà, dans le cadre de l’initiative PPTE, les mêmes efforts d’annulation que ceux effectués par les autres créanciers, renforcent ainsi leur engagement en faveur de l’allègement de la dette des pays pauvres.

 

1-     Rappel du dispositif PPTE renforcé

 

L’entrée d’un pays dans le dispositif PPTE découle d’une décision des Conseils d’administration du FMI et de la Banque mondiale. Les pays potentiellement éligibles doivent satisfaire aux conditions suivantes:

- être uniquement éligibles aux programmes concessionnels du FMI et de la Banque mondiale (guichet de l’Association internationale pour le développement - AID) ;

- présenter, après une application des mécanismes traditionnels d’allègement de dette, des ratios d’endettement supérieurs à certains seuils prédéfinis, établissant l’insoutenabilité de leur dette extérieure ;

- avoir conclu un programme avec le FMI et/ou la Banque mondiale.

Le dispositif comprend deux temps, marqués par les points de décision (« decision point ») et d’achèvement (« completion point »), entre lesquels se déroule la « période intérimaire » :

- au « point de décision », qui marque l’éligibilité du pays à l’initiative, est calculé le montant des annulations qui seront nécessaires pour réduire l’endettement à un niveau soutenable. Ce seuil est estimé à 150 % des exportations ou à 250 % des recettes de l’État hors dons. Les créanciers réalisent alors un effort intérimaire qui prend la forme d’une réduction du service de la dette (accords dits de flux). Les échéances tombant durant la période intérimaire sont annulées ou rééchelonnées.

- au « point d’achèvement », l’allégement du stock de dette calculé lors du point de décision devient définitif et complet pour l’ensemble des créanciers bilatéraux et multilatéraux concernés. Si, en dépit de ces annulations, la dette calculée au point d’achèvement reste supérieure au seuil de soutenabilité retenu dans le cadre de l’initiative, des allégements additionnels (« topping-up ») peuvent être consentis pour les pays ayant subi un « choc exogène exceptionnel » depuis le point de décision. Par ailleurs, les créanciers membres du Club de Paris accordent des annulations bilatérales complémentaires.

2-     L’état d’avancement de l’initiative PPTE renforcée

L’état d’avancement du processus

Au total, au 30 juin 2009, 35 pays, dont 29 en Afrique (et 12 en Zone franc), ont franchis le « point de décision » sur les 40 pays potentiellement éligibles. Depuis la fin 2000 (date à laquelle 22 pays étaient parvenus au point de décision de l’initiative renforcée), le rythme s’est sensiblement ralenti, un à deux pays franchissant chaque année cette première étape. Deux pays (le Congo et Haïti) ont ainsi atteint le point de décision en 2006, suivis de l’Afghanistan en 2007, puis de la République centrafricaine, du Libéria et du Togo en 2008. La Côte d’Ivoire a, pour sa part atteint le point de décision au 1er semestre 2009.

Parmi les pays ayant atteint le point de décision, 24 sont parvenus au « point d’achèvement » au 30 juin 2009, dont 20 en Afrique (et 6 en Zone franc) : Ouganda en 2000, Mozambique et Tanzani  en 2001, Burkina Faso et Mauritanie en 2002, Mali et Bénin en 2003, Niger, Sénégal, Éthiopie, Ghana et Madagascar en 2004, Zambie et Rwanda en 2005, Cameroun, Malawi et Sierra Leone en 2006. Sao Tomé et Principe et la Gambie ont franchi cette étape, respectivement en mars 2007 et en mars 2008. En 2009, les derniers pays ayant atteint le point d’achèvement sont le Burundi en janvier et la République Centrafricaine fin juin.

Les montants de dettes annulés

Pour les 24 pays ayant atteint le point d’achèvement (hors République Centrafricaine), les allégements mis en oeuvre s’élèvent à près de 61,6 milliards de dollars, en valeur actualisée nette (VAN) à fin 2008. Le montant des allègements de dette susceptibles d’être consentis aux 11 pays ayant atteint le point de décision est estimé à 23,5 milliards en VAN 2008. Pour les 5 pays n’ayant pas encore franchi le point de décision mais potentiellement éligibles, ce montant est évalué à 17,5 milliards, en VAN. Au total, l’encours de la dette des 35 pays PPTE ayant atteint leur point de décision a été réduit de plus de 80 %.

Le renforcement du lien avec la réduction de la pauvreté

Le renforcement du lien entre l’allégement du service de la dette et l’augmentation des dépenses contribuant à la réduction de la pauvreté est l’un des objectifs prioritaires de l’initiative PPTE. À cet effet, tous les pays éligibles doivent élaborer un Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP),  détaillant l’affectation aux dépenses sociales des surplus dégagés par l’allégement du service de la dette. D’après les estimations du FMI et de l’AID, les allègements de dette ont permis de financer des actions en matière de lutte contre la pauvreté (éducation, systèmes de santé…). Les dépenses en ce domaine sont ainsi passées de 7 % du PIB en 1999, en moyenne dans les pays PPTE, à 9% en 2007. Le poids du service de la dette s’est également sensiblement réduit : celui-ci, rapporté aux recettes d’exportation, a été ramené, en moyenne, de 18 % à 6 % entre 1999 et 2008.

 

 

Pour faire reculer la pauvreté, il convient aussi de mettre au point des mécanismes efficaces pour faire participer les pauvres à la vie économique et créer des institutions publiques responsables et à l'écoute des pauvres. La bonne gestion des affaires publiques est nécessaire pour garantir une gestion saine des ressources publiques et réaliser une transparence accrue, y compris une opinion publique en éveil et des gouvernants comptables de leur gestion des finances publiques. L'implication active de la société civile dans le suivi des volets pertinents du programme constitue un élément important. Dans la nouvelle formule, la stratégie propre au pays serait présentée dans un cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) qui devrait devenir un instrument clé dans les relations entre les pays et la communauté des donateurs. Ce document serait soumis aux Conseils d'administration de la Banque et du FMI pour approbation et servirait de base pour les prêts concessionnels de la Banque et du FMI au pays ainsi que pour l'allégement de la dette au titre de l'Initiative PPTE. Le Comité intérimaire et le Comité de développement ayant avalisé cette démarche, des mesures ont été prises en vue d'aider les pays à amorcer l'élaboration des stratégies de lutte contre la pauvreté et d'associer d'autres partenaires du développement au processus.

La Banque s'efforce, au moyen du cadre de développement intégré, de diffuser ces enseignements et de les appliquer dans ses efforts d'aide aux pays membres et dans le cadre du partenariat international.

 

1-    Principes qui sous-tendent le CSLP

Prise en charge par les pays

·        L'adhésion du pays à la stratégie de lutte contre la pauvreté est primordiale. Une participation élargie de la société civile à l'adoption et au suivi de la stratégie de lutte adaptée aux circonstances spécifiques à chaque pays en renforcera la mise en oeuvre soutenue.

Axée sur les résultats

·        Afin de formuler une stratégie efficace, il importe de comprendre la nature et les facteurs déterminants de la pauvreté, ainsi que les actions des pouvoirs publics susceptibles de faire reculer la pauvreté.

·        Il convient de fixer des objectifs à moyen et à long terme de réduction de la pauvreté, y compris les résultats-clés et les indicateurs intermédiaires afin de s'assurer que les politiques sont bien conçues, mises en oeuvre efficacement et suivies attentivement.

Globale

·        Il ne sera pas possible de faire reculer la pauvreté de manière durable sans une croissance économique rapide; la stabilité macroéconomique, les réformes structurelles et la stabilité sociale sont indispensables pour engager les pays dans la voie d'une croissance durable plus forte.

·        La pauvreté a de multiples dimensions. Des mesures spécifiques sont nécessaires afin de permettre aux pauvres de partager les bienfaits de la croissance, de renforcer leurs capacités et leur bien-être et de réduire leur vulnérabilité aux risques.

·        Une stratégie de lutte contre la pauvreté doit intégrer des interventions d'ordre institutionnel, structurel et sectoriel à un cadre macroéconomique cohérent.

Partenariats

·        L'élaboration d'une stratégie de développement par le gouvernement peut créer un cadre propice à l'amélioration de la coordination des activités de la Banque et du FMI, ainsi que de celles des banques régionales de développement et d'autres organismes multilatéraux, agences d'aide bilatérales, ONG, institutions universitaires, centres de réflexion et organisations du secteur privé.

Perspective à long terme

·        Étant donné que pour faire reculer la pauvreté, il faudra réaliser des changements institutionnels et renforcer les capacités -- moyennant notamment des mesures visant à améliorer la gouvernance et à responsabiliser les pouvoirs publics -- une perspective à moyen et à long terme s'impose.

·        La volonté des partenaires nationaux et internationaux à souscrire à des engagements à moyen terme rendra leur appui à la stratégie de lutte contre la pauvreté plus efficace.

 

Certains pays - tels que le Ghana et l'Ouganda - ont déjà réalisé des progrès substantiels dans l'élaboration de leurs propres stratégies participatives de lutte contre la pauvreté. Le Burkina Faso se trouve à présent en plein milieu d'un processus qui est fondé sur les principes énoncés ci-dessus. Toutefois, si pour la plupart ces principes sont largement acceptés, il est évident qu'ils sont d'application immédiate limitée, tant au niveau général qu'au niveau des pays. Au niveau général, il convient de faire davantage d'efforts pour mieux comprendre la nature complexe et pluridimensionnelle de la pauvreté et ses facteurs déterminants, y compris par exemple, les liens entre l'accroissement des dépenses (par exemple, au titre de l'enseignement primaire), les indicateurs intermédiaires ( taux de scolarisation) et les résultats visés (l'alphabétisation); ainsi que les liens entre les dépenses d'infrastructure (au titre des routes rurales) et la lutte contre la pauvreté (et l'inéquité sociale, de manière plus générale). Cependant, signalons qu’il existe des divergences énormes d'un pays à l'autre sur les plans.

 

 

Comme on l’a vu, les nouvelles initiatives prises par les IBW présentent incontestablement un caractère novateur, qu’il s’agisse des objectifs qu’elles affichent ou des processus participatifs qu’elles préconisent pour la définition des politiques de lutte contre la pauvreté. Pour autant, ces initiatives ne feront leur preuve que si elles se traduisent par un changement effectif du contenu des politiques mises en oeuvre par les pays en développement et par l’instauration de nouvelles relations entre ces derniers et la communauté internationale. Tout au plus peut-on souligner que les nouvelles stratégies ne sont pas dénuées d'ambiguïtés et d'incohérences. En particulier, elles sont traversées par deux contradictions majeures : la première est liée au risque qu’en mettant l’accent sur l’importance du politique on sous-estime celle du contenu des politiques économiques ; la seconde est liée au lien établi entre les nouvelles politiques de lutte contre la pauvreté et l’initiative d’allègement de la dette, dont les objectifs sont pourtant fondamentalement différents.

 

1-    Politique économique versus économie politique

 

Les nouvelles stratégies de réduction de la pauvreté constituent implicitement un aveu d’échec des politiques antérieures. La responsabilité de cet échec peut être attribuée à deux types de causes :

- les politiques étaient inadaptées ;

- les politiques n’ont pas été réellement mises en oeuvre.

Rappelons qu’au cours des vingt dernières années, les quasis échec des ajustements ont été mis sur le compte de ce dernier facteur. Pourtant les contrôles de prix ont été largement éliminés, la stabilisation a bien eu lieu, les protections tarifaires et non tarifaires ont fortement baissé, le secteur public a maigri (emplois, salaires, privatisation, ...), les taux de change ne sont plus autant sur-évalués, les marchés des capitaux largement libéralisés, les marchés du travail flexibilisés, ...). Economies de marché et démocratisation ont sans conteste gagné du terrain... sans résultats probants.

Encore aujourd’hui, il semble que les nouvelles stratégies privilégient la seconde hypothèse, en considérant que le manque d’engagement des gouvernements pour la mise en oeuvre des politiques a été le facteur principal de l’échec de l’ajustement structurel, même si l’inadaptation des politiques est reconnue du bout des lèvres (nécessité d'un meilleur équilibre Etat/marché, prise en compte des contextes nationaux et locaux, relativisation des bienfaits de la libéralisation, ...). La reconnaissance louable du rôle de l'économie politique (et donc du politique) ne saurait constituer un substitut à la vacuité des politiques économiques elles-mêmes. Le processus a sûrement un rôle important à jouer. Mais il ne comblera pas à lui seul la déficience du contenu des politiques adoptées.

La relative uniformité des programmes proposés par la dizaine de Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP) finalisés à la mi-2002 témoigne de cette difficulté ; pourtant, comme l’écrit Stiglitz, la démocratie consiste à disposer de la possibilité de choix entre plusieurs types de politiques. En même temps, même s’ils reprennent pour l’essentiel les recettes antérieures (notamment en matière de libéralisation commerciale et de privatisations) l’expérience montre que les DSRP innovent aussi du point des dépenses sociales (éducation, santé) dont le poids dans les dépenses budgétaires est souvent en accroissement (alors que l’ajustement structurel les avait au contraire fortement réduites) : en fin de compte, il serait donc abusif d’affirmer que l’on se limite à « tout changer pour que tout reste pareil ».

 

2-    Réduction de la dette et lutte contre la pauvreté : les deux initiatives sont-elles compatibles ?

                                              

La seconde contradiction provient du télescopage de deux initiatives de nature différentes, dont les conditions de mise en oeuvre sont incompatibles sur plusieurs plans. L'imbrication entre l'Initiative PPTE et les DSRP est certes une garantie que la lutte contre la pauvreté ne restera pas qu'un slogan, puisqu'elle sera (au moins en partie) financée. Elle est aussi partie prenante du renforcement de la cohérence de l’aide internationale observé dans la période récente : ayant décidé de concert de lancer les initiatives DSRP et PPTE « renforcée » en 1999 (qui assouplit les conditions d’éligibilité et accroît l’ampleur de l’allègement de dette), les pays donateurs ont par la même occasion été poussés à s’aligner pour la plupart sous la bannière des nouvelles politiques de lutte contre la pauvreté (financées d’ailleurs en grande partie par l’allègement de dette). Mais, cette imbrication est aussi à l’origine de plusieurs tensions qui rendent difficile l’application des principes affichés par la nouvelle approche. L’objectif d’appropriation des politiques constitue ainsi une des principales nouveautés des nouvelles approches. Comme l’écrit la Banque mondiale, qui présente par la même occasion un mea culpa dans ce domaine : « Une leçon tirée de l’expérience passée est que la réforme ne réussit généralement pas sans une forte appropriation locale et une approche large, qui inclut la prise en compte des institutions, la gouvernance et la participation des acteurs - une leçon qui constitue le moteur du processus des Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté (DSRP) ». En même temps, les conditionnalités imposées aux pays en développement pour bénéficier des financements publics internationaux s’opposent toujours à une véritable appropriation de ces politiques.

L’échec de la conditionnalité imposée dans le cadre de l’ajustement structurel a conduit à mettre en avant le principe de sélectivité de l’aide. La Banque mondiale s’appuie à cet égard sur un certain nombre de travaux internes qui mettent en évidence l’efficacité accrue de l’aide lorsqu’elle est dirigée vers des pays bien gérés et engagés dans des réformes.

Toutefois, la mise en oeuvre de l’initiative PPTE contredit totalement ce principe de sélectivité : tant le choix des pays bénéficiaires de l’allègement de la dette accordé dans le cadre de cette initiative que le montant de cet allègement ont été décidés en fonction de critères purement financiers (liés à la « soutenabilité » de la dette), sans prise en considération ni des besoins des pays ni de la qualité de leur gestion et de leur gouvernance. Alors que la « prime » à la bonne gestion n’a pas joué, le risque que l’aide ainsi accordée soit détournée de son affectation prévue à la lutte contre la pauvreté ne peut être écarté.

v  

Les nouvelles politiques de lutte contre la pauvreté promues par la Banque Mondiale (et le FMI) souffrent de nombreuses insuffisances tant dans leur contenu que dans leur processus de définition sur le terrain. Malgré toutes ces difficultés, il serait erroné de ne voir dans les nouvelles stratégies de lutte contre la pauvreté qu'un simple ravalement ou un effet de mode. Sous peine d’être totalement discrédité, il sera difficile pour les IBW d’envisager un retour en arrière, ou de chercher à limiter l’impact potentiel des changements initiés.

La remise en question du tête-à-tête exclusif avec les gouvernements des pays pauvres témoigne d’une volonté politique louable pour accroître l’efficacité des stratégies d’aide au développement. Mais faute d’expérience, cette évolution est aussi porteuse d’incertitudes. D’une certaine manière, les IBW ont ouvert la « boîte de Pandore ». Elles ont créé des attentes qu’elles ne seront pas nécessairement aptes à satisfaire, courant le risque aussi bien de déceptions que de retours en arrière.

 

Mahamat DJIDDA

Master Droit International et Relations Internationales




Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article